Il a suffi d’un rien pour que j’ouvre des yeux que je n’avais jamais ouverts. Je tombais un peu plus tôt cette année sur un article relatant le suicide d’un Américain d’un peu plus d’une trentaine d’années, lequel se serait tiré une balle dans la tête en plein milieu d’un campus universitaire, laissant derrière lui sa « note de suicide » en un peu moins de 2000 pages (rien que ça) – et c’est là le déclic. Pas parce que cet homme s’est suicidé, mais parce que s’il a pu à ce point préméditer un tel acte et y associer un tel ouvrage, c’est qu’il avait profondément vu dans la mort la seule réponse satisfaisante. Ce qui en soi – et j’allais m’en rendre compte par la suite – n’est pas du tout un positionnement inconnu de la sphère philosophique, c’est même un sujet structurant de sa constitution. En fait, et ça rejoint parfaitement l’article « La réponse ou la question ? » qui précède celui-ci, je fus bouleversé de ne serait-ce qu’envisager qu’un être de ma constitution ait assez compris pour ne voir comme seule continuité à sa réflexion une des inconnues la plus concrète à laquelle nous, vivants, ayons accès : la mort. Mais le thème étant déjà si vaste, et pas l’objectif de cette publication-ci, nous y reviendrons plus tard. Par la suite, j’apprenais anecdotiquement (aujourd’hui en fait) que l’homme qui s’était donné la mort se nommait Mitchell Heisman, qu’il avait 35 ans au moment des faits, et que son acte avait eu lieu en 2010 au campus de l’université Harvard – à laquelle il n’étudiait pas d’ailleurs.
Ce qu’il était voulu de ma part ici, c’est de souligner à quel point ce fut l’explosion des barrières psychiques que je m’étais (je ne sais comment) imposées. Ironiquement, j’estimais déjà beaucoup mon avancée sur le chemin philosophique, sans finalement avoir une idée assez aboutie de la richesse de son existant, et de ses possibles (ni même d’ailleurs aucune connaissance de son vaste champ lexical). J’étais finalement si heureux de me rendre compte de ma naïveté et d’à quel point des figures de tout temps étaient à l’horizon (maintenant visible !) de ma compréhension, que je me suis mis en tête à mon tour d’atteindre au plus proche cette vérité absolue, et d’en retranscrire la quête en mots. Car, ne sont-ils pas notre art le plus précis ?
L’art est un levier en termes de déconstruction des évidences. Il rend sensible, donc rend possible les autres rapports au monde.
— Aurélien Barrau, dans une interview accordée à Thinkerview: « Quand la Science appelle à l’aide pour l’humanité ? » (2018)
Que valent mes mots ?
Alors voilà, me voici à vouloir donner ma version des questionnements, et ainsi ajouter ma pierre à ce riche édifice de pensées bâti au fil des âges. Ironiquement, ma propre réaction fut autrement plus pragmatique (mot que je connote négativement dans ce contexte d’ailleurs) : est-ce que ça sert a quelque chose ? N’en finissons-nous plus d’écrire la même chose ? Suis-je légitime à partager un tel contenu, sinon ridicule ? Qu’auront les plus savants à envier à mes mots ?
Plus d’humains capables d’écrire et plus de moyens impliquent logiquement plus d’écrivains, impliquant eux-mêmes plus de contenu, parfois d’un proche à flirter avec l’identique – bien que les divergences les plus profondes soient parfois le jeu d’un détail, d’autant plus au sein d’un champ d’analyse et de réflexion aussi vaste. Notons bien que j’énonce ici une très simple vérité généraliste sur la gestion des masses, et absolument pas une opinion. Toujours en ce sens, bien que plus difficile à trouver, c’est aussi là où l’exceptionnel est le plus susceptible de naître, d’exister. Le contenu de mes écrits ne le sera sûrement pas, mais est-ce un tort de vouloir transcrire l’avancée de ses pensées, ses questionnements, quand bien même de nombreux penseurs en auraient déjà fait le tour ? D’autant plus lorsqu’on parle de philosophie et donc d’absence de réponses, ou bien a minima de réponses fondamentalement incomplètes ? Je pense sincèrement que non. Je pense que non, et pour 3 raisons.
Sur un plan personnel premièrement, car c’est là que je trouve le plaisir de me questionner sur un horizon toujours plus lointain, et la force de chatouiller les plus grands penseurs ; bien que je n’aurais jamais ni le temps ni l’énergie d’effleurer leurs bibliographies respectives.
Et puis pour une seconde raison a mon sens autrement plus fondamentale, l’autre. Parce que si Mitchell s’était dit que tout ce qu’il explorait n’était que terrain conquis et philosophie existante, je n’aurais pas pu lire son ouvrage. Je n’aurais pas pu découvrir tout ce que j’ai déjà découvert sur les premières heures de lecture, et je n’aurais pas approfondi comme j’ai déjà pu approfondir depuis ce déclic. Sans doute aurais-je eu l’occasion de faire toutes ces avancées à un autre moment de ma vie, mais je ne pense pas que tout ouvrage œuvrant en ce sens eut été de trop, quoi qu’il en soit.
Enfin, et c’est surement le point qui me génère le plus de satisfaction à moi, créature socioanimale souhaitant induire une différence concrète entre matière et esprit : c’est pouvoir m’offrir aux autres par autre chose que mon corps. Pour donner un peu de volume a ce point : il y a à peine plus d’un an, j’avais passé une longue semaine peu réjouissante à l’hôpital, suivie de 3 mois d’immobilisation quasi-intégrale. Une expérience douloureuse, peu réjouissante, mais par chance qui se soigne bien lorsque prise en charge et ne laisse pas (trop) de traces. C’est la première fois où j’ai pu vraiment expérimenter la faiblesse induite par mon corps, et effleurer concrètement la mort en tant que telle. Ce fut d’ailleurs un autre gros déclic aux côtés de celui évoqué précédemment, et arrivé au bout de cette convalescence, je ne voulais plus qu’une chose : vivre. Quelques gros accomplissements – que je qualifierais certes d’absolument capitalistes et philosophiquement futiles – ont suivis (achat d’un appartement, d’une moto…), et à leurs côtés un autre acte d’apparence anodin, mais pour moi si riche de sens à ce moment : un rasage de crâne intégral. Je dramatise presque cet acte qui était pour moi majeur, car il me semblait la traduction d’une volonté de ne plus être aux yeux de l’autre, alors inconnu, que la traduction du beau incarné strictement par mon corps et ses spécificités, mais aussi et surtout (je dirais même aujourd’hui exclusivement) par mon moi que j’estime le plus profond, celui incarné par « infiniment plus grand » – je choisis volontairement une appellation manquant de clarté en attendant de pouvoir la réaborder. Dit simplement, je ne voulais plus que mes cheveux (donc mon corps) aient le pouvoir de m’incarner plus que moi.
Et c’est ainsi que nous pouvons rejoindre concrètement la problématique de base. Ces mots sont pour moi la matérialisation concrète de ma volonté de construire une passerelle sociale, une accroche, un lien, une sincère ouverture au moi par un biais autre que physique. C’est moi dans la version la plus pure que je sois en mesure d’offrir.
Qu’auront les plus savants à envier à mes mots?
Intrinsèquement rien donc, mais l’enjeu est tout autre.
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